lundi 14 mars 2011

L'amour sur le bord de la route


Le vent qui soufflait le long de la route le faisait frissonner. Il s’engouffrait sous son blouson de toile qui n’était pas  vraiment adapté à la saison.
Dans l’urgence il n’avait pris que ça et le sac à dos qu’il trimballait partout. Son sac, il y tenait comme à la prunelle de ses yeux, il y mettait tout ce qu’il voulais mettre hors de portée de sa mère et plus particulièrement un cahier à spirales, son journal.
Il l’avait commencé un jour où son mal-être était tel qu’il avait pensé en finir en sautant du grand pont.
Ce cahier était son seul confident, il n’avait pas d’amis et n’avait jamais cherché à en avoir. Les quelques lignes quotidiennes étaient sa drogue, sa dose pour oublier que sa mère ne l’avait jamais aimé, ses échecs scolaires, son mal de vivre. Il aurait l’appeler son cahier de souffrance s’il n’y avait pas eu un jour une parenthèse, une bulle de bonheur trop vite éclatée, David. David qui avait trouvé la mort deux mois après leur rencontre, écrasé par un chauffard. Et ce jour là l’eau glaciale du fleuve n’avait jamais aussi attrayante.  Deux mois de bonheur en 18 ans d’existence dont le seul souvenir, hormis  ceux qu’il conservait précieusement au plus profond de son cœur était ces photos  prises dans un photomaton.
C’était à cause d’elles qu’il se retrouvait à marcher sur le bas-côté de la départementale.
Profitant de son passage dans la salle de bain elle avait fouillé dans son sac et avait trouvé la preuve de ce qu’elle soupçonnait depuis un moment. Quand il était revenu elle les lui avait jeté à la figure et les traits déformés par la haine elle avait ouvert la porte d’entrée. Aucune parole n’avait été échangée mais il avait compris, avait ramassé les photos, pris un blouson au hasard, son sac et était parti sans se retourner. Un seul espoir lui donnait la force de mettre un pied devant l’autre, celle de retrouver son père qui ignorait son existence. Il avait appris son nom un soir où elle avait levé le coude un peu plus qu’à l’ordinaire.
…………….

Steve fredonnait un tube des années 80  qu’il avait en tête depuis qu’il avait fermé sa boutique. Chanter et conduire était presque devenu indissociable au grand damne de ses amis qui avaient « la chance » de monter dans sa voiture.
Le jour baissait, il alluma ses feux et c’est là qu’il l’aperçut, de l’autre côté de la route marchant en direction de la ville qu’il venait de quitter. Steve était connu dans son village pour son habitude à recueillir les chats et les chiens errants, il les remettait sur pattes et  les plaçait ensuite dans des foyers où ils coulaient des jours paisibles. Cette fois ci et même si celui qui avait besoin d’aide avait deux jambes et non quatre pattes il resterai fidèle à sa réputation.
Il  roula encore deux ou trois kilomètres avant de trouver un chemin où il put faire demi-tour sans danger.
Il dépassa la silhouette avant de s’arrêter quelques mètres plus loin, le temps de baisser la vitre passager et il arriva à sa hauteur.

« je peux te déposer quelque part ? »

Le marcheur s’arrêta, hocha la tête négativement  puis repris se remis en mouvement. Une bourrasque de vent lui fit replier les bras sur son torse, espérant une protection  qui s’avéra inutile. Il avait froid,  il avait mal aux pieds et la fatigue pesait de plus en plus lourd sur ses épaules. Il fit marche arrière et ouvrit la portière de la voiture. 

« je te dépose où ?» redemanda Steve après que son passager ait remonté la vitre et attaché sa ceinture.

« A la gare. »

“Je m’appelle Steve” fit celui-ci en tendant la main. «  et toi ? »

La main qui exerça une pression sur la sienne était gelée.

« Jules ».

Devant le froncement de sourcil de Steve à l’annonce de son prénom désuet il crut bon de préciser.

« oui comme Maigret, ma mère adorait les livres policiers, j’ai eu de la chance au départ elle voulait m’appeler Hercule. »

« je te comprends, moi heureusement que mon père a posé son veto sinon  j’étais bon pour Marlon. »

Jules esquissa un petit sourire et alors que Steve redémarrait, il plaça  ses mains devant les volets d’aération, les réchauffant au contact de l’air chaud qui en sortait.
………

Le silence régnait dans le véhicule,  Jules bercé par le ronronnement du moteur s’était endormi rapidement.

Steve l’observait parfois à la dérobée, il avait tout du lycéen en fugue et il se demandait ce qui avait pu se passer pour qu’il en arrive à cette extrémité.  Les lumières de la zone commerciale étaient en vue quand pris d’un impulsion il profita du rond-point situé à l’entrée de la ville pour faire demi-tour.

Les détecteurs de mouvement s’activèrent quand Steve gara sa voiture devant le porche et la lumière inonda la cour.

Il coupa le contact et un aboiement se fit entendre qui réveilla Jules. Il cligna des yeux puis se redressa brusquement en se rendant compte qu’il n’était pas arrivé à la destination prévue.

Instinctivement il se colla contre la portière la main sur la poignée, prêt à descendre, oubliant la ceinture qui le retenait. Il s’en voulu d’avoir accepter la proposition d’un inconnu, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Il ne croyait pas en Dieu mais il fit mentalement une prière en espérant que son instinct ne l’avait pas trompé. Il n’avait pas peur de la mort, l’ayant espéré de nombreuses fois mais finir dans les mains d’un pervers ou d’un psychopathe n’était pas dans ses intentions. Il tourna la tête vers Steve qui n’avait bougé et qui le regardait en souriant.

Celui-ci conscient de ce qui le tourmentait, leva les mains en signe d’apaisement.

« Calmes-toi, je ne vais pas te manger. Je me suis dis que tu ne serais pas contre un repas chaud et un lit confortable. Tu as l’air épuisé. Je te conduirait à la gare demain promis »

Il descendit du véhicule, alla ouvrir la porte et. quelques secondes plus tard la maison fut éclairée de l’intérieur.

Un deuxième aboiement résonna dans la nuit et Jules vit Steve ressortir pour se diriger vers un bâtiment au fond de la cour. Il attendit qu’il pénètre à l’intérieur pour sortir de la voiture.

Sur le seuil il hésita, serrant son sac à dos contre lui, mais il avait froid et la chaleur qui se dégageait du poële au fond de la pièce était trop tentante.

Le décor rustique de celle-ci était bien loin de celui fait de bric et de broc de l’appartement situé dans une barre HLM qu’il avait partagé avec sa mère.

L’image du visage haineux qu’elle avait eu quand elle l’avait jeté dehors lui vint à l’esprit. Ses doigts se crispèrent sur la toile du sac.

Il n’entendit pas Steve qui rentrait.

Celui-ci pris le temps de l’observer avant de signaler sa présence. Jules était aussi grand que lui, un peu trop mince pour sa stature. Les cheveux châtains lui arrivaient aux épaules. Les vêtements étaient bon marché, les tennis usées.

Il remarqua les épaules voûtées comme s’il portait le malheur du monde sur son dos.

Steve referma la porte et quand Jules lui fit face il put voir dans ses yeux verts que malgré son jeune âge il avait beaucoup souffert. Il y vit aussi une lueur qui le fit comparer à un chat haret*, et il eut envie de l’apprivoiser. (* un chat haret est un chat domestique revenu à l’état sauvage.)

Steve prépara le repas pendant que Jules regardait la télé assis sur le canapé.

Le film était insipide et il n’y jetait qu’un œil distrait. Par la porte de la cuisine ouverte il pouvait voir son hôte qui s’affairait devant la cuisinière.

Ils prirent leur repas assis l’un en face de l’autre, se regardant à la dérobée. Peu de mots furent échangés malgré les questions qui brûlaient les lèvres de Steve. Il sentait que Jules n’était pas près aux confidences, et il ne voulait pas le brusquer. De toute façon il partait le lendemain et il y avait peu de chance pour qu’il rencontre sa route à nouveau.

La dernière bouchée de son dessert avalée Jules ne put retenir un bâillement. Steve lui montra sa chambre puis après avoir remis de l’ordre dans la cuisine, il alla se coucher à son tour.
………….

Comme tout les matins Steve se leva à 6h. Après un passage dans la salle de bains il retourna dans sa chambre pour s’habiller. La porte de la chambre d’ami était entrouverte, sans bruit il poussa le battant. Jules était recroquevillé en position fœtale et il avait remonté le drap au maximum.

Il tira la porte sans la refermer, elle grinçait un peu et il eut peur de réveiller le dormeur.

Il se rendit dans la cuisine et pendant que le café coulait il sortit tout ce qui était nécessaire aux repas de ses pensionnaires.

Le simple bruit des croquettes dans le paquet fit surgir de nulle part une chatte noire. Elle sauta sur l’évier et d’une pression sur le bras de son maître l’incita à la caresser.

Celui-ci s’exécuta de bon cœur en riant, puis il remplit sa gamelle et changea l’eau de l’écuelle.

Et pendant que le félin se jetait sur son repas il prépara la pâtée pour la chienne qu’il avait recueilli et qui venait d’avoir une portée de sept chiots.

Il prit le temps de boire son café avant se préparer à sortir dans l’air frais du matin puis un récipient à la main il prit le chemin de la remise.
………..

C’est la sensation d’un poids sur la poitrine qui réveilla Jules. Il ouvrit les yeux et rencontra le regard de la chatte qui le regardait avec curiosité.

Il n’avait jamais eu d’animal, sa mère trouva ça sale et répugnant. Une fois, il devait avoir 7 ans, il avait osé bravé l’interdiction en ramenant un chaton trouvé alors qu’il revenait de l’école. Il l’avait nourri d’un peu de lait et l’avait caché dans sa chambre. Le lendemain à son retour il avait trouvé le corps froid de l’animal sur son lit. Sa mère l’avait regardé avec ce sourire mauvais qu’elle affectionnait quand elle voulait le punir. Il avait compris qu’elle avait tué le seul être qui lui avait témoigné un peu d’affection. Le visage baigné de larmes il avait été obligé de le jeter dans une poubelle.

Il chassa le souvenir puis il passa la main dans la fourrure épaisse. Un ronronnement de satisfaction le récompensa. Alors que la chatte s’installait confortablement sur son torse, il referma les yeux et se rendormit.

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